Les médias internationaux suivent le scandale Epstein comme un signe des tensions politiques à Washington. La bataille autour de la divulgation des documents du département de la Justice liés à Jeffrey Epstein a atteint une phase décisive cette semaine dans la capitale américaine, suscitant des réactions dans les rédactions de plusieurs continents. Le mardi 18 novembre, la Chambre des représentants a voté à 427 voix contre 1 pour exiger la publication de tous les documents non classifiés liés aux activités criminelles d’Epstein. Le Sénat, à majorité républicaine, a approuvé la mesure dans la foulée. Le texte, qui attend désormais la signature du président Donald Trump, ouvrirait l’accès à des milliers de pages de dossiers d’enquête, d’e-mails et de documents judiciaires longtemps soustraits à l’examen public.
Le « dossier Epstein » regroupe plus d’une décennie de documents liés aux réseaux de trafic sexuel d’Epstein, à ses poursuites judiciaires et aux circonstances de sa mort en 2019 — officiellement qualifiée de suicide alors qu’il était en détention fédérale. Les associations de survivantes, les défenseurs de la liberté de la presse et un ensemble bipartisan de parlementaires réclament depuis des années la publication intégrale de ces pièces, estimant qu’elles pourraient identifier des complices, des facilitateurs ou des responsables qui auraient entravé l’enquête.
La position de Trump sur la question reste délicate. Bien qu’il ait côtoyé Epstein socialement et professionnellement par le passé, le président prend depuis longtemps ses distances, qualifiant Epstein de « pervers malade » qu’il dit avoir banni de Mar-a-Lago. Ces derniers mois, cependant, Trump a tenté de bloquer le projet de loi imposant la divulgation, une décision qui a provoqué des tensions au sein de sa base républicaine. Un sondage Reuters/Ipsos publié lundi indique que seuls 44 % des électeurs républicains approuvent sa gestion de l’affaire Epstein, contre 82 % pour son bilan général à la Maison-Blanche. Cette pression semble avoir contribué à son revirement du 18 novembre, lorsqu’il a cessé de s’opposer au vote et laissé la mesure avancer. Sa décision d’appeler à la publication des documents a été largement influencée par plusieurs élus républicains qui avaient annoncé leur intention de soutenir la divulgation.
Les répercussions politiques nationales ont été immédiates. Des survivantes des abus d’Epstein se sont rassemblées devant le Capitole lors du vote, réclamant transparence et responsabilité. Certaines, dont Jena-Lisa Jones — qui a témoigné publiquement avoir été agressée dans son enfance — ont reproché à Trump d’avoir transformé l’affaire en « honte nationale ». Au Congrès, le représentant Thomas Massie, élu du Kentucky, s’est imposé comme l’un des défenseurs les plus fermes de la divulgation, affirmant que la confiance du public exige « de voir des hommes riches menottés, en direction de la prison » — un écho au large désir de fermeté exprimé par l’opinion.
Alors que le débat américain se concentre sur la transparence et la responsabilité des élites, la couverture internationale reflète des préoccupations internes et géopolitiques propres à chaque région. Les analyses en Afrique, en Europe, en Asie et en Amérique latine montrent que l’affaire dépasse largement la question Epstein pour toucher au fonctionnement des institutions démocratiques et à la manière dont les puissances occidentales traitent les accusations visant leurs propres élites.
En Afrique, plusieurs médias ont relié l’affaire à la question plus large de l’influence occidentale et des standards de gouvernance. En Afrique du Sud, Scrolla Africa, dans sa chronique « Trump Watch » du 16 novembre, a estimé que les États-Unis sont confrontés aux mêmes déficits de transparence qu’ils reprochent régulièrement aux pays en développement. En Côte d’Ivoire, DropSite News est allé plus loin dans un article du 6 novembre, ravivant les allégations selon lesquelles Epstein aurait eu des liens commerciaux en Afrique de l’Ouest, notamment dans la vente présumée de technologies de surveillance au gouvernement ivoirien — un exemple, selon le journal, d’acteurs étrangers opérant avec un contrôle limité. Au Sénégal, The Africa Report a présenté le dossier comme une composante d’un mouvement mondial en faveur de l’ouverture institutionnelle, établissant un parallèle avec les débats actuels sur la transparence dans plusieurs pays africains.
En Europe, l’attention se porte sur la responsabilité des élites et les tensions que le scandale impose aux relations transatlantiques. La BBC, dans son analyse « What do we know about the Jeffrey Epstein files? », a souligné la préparation des institutions britanniques à un regain de pression, notamment en ce qui concerne les liens historiques entre Epstein et le prince Andrew. En France, Le Monde s’est penché sur les risques pour les personnalités politiques et économiques européennes citées dans les documents américains, alertant sur les conséquences pour les gouvernements qui tarderaient à reconnaître l’ampleur du problème. En Allemagne, Der Spiegel a insisté sur l’impatience grandissante du public face à l’impunité des élites, comparant la réaction américaine aux récentes mobilisations anticorruption en Europe.
En Asie, les rédactions présentent l’affaire comme un test de la cohésion politique américaine et de la crédibilité démocratique du pays. À Singapour, Channel NewsAsia a largement couvert le processus législatif et le revirement de Trump, interprétant l’épisode comme un indicateur clé du niveau de transparence du système américain. En Inde, le Times of India a rappelé que le dossier soulève aussi des questions sur les familles royales et institutions occidentales. À Hong Kong, le South China Morning Post a noté que le soutien bipartite au texte pourrait influencer la perception du leadership institutionnel américain en Asie du Sud-Est.
En Amérique latine, où les scandales de corruption occupent fréquemment les manchettes, les comparaisons avec la situation américaine sont nombreuses. Au Brésil, GZero Media, dans son briefing du 17 juillet « What We’re Watching », a placé l’affaire Epstein en parallèle avec les enquêtes visant l’ancien président Jair Bolsonaro, décrivant les deux cas comme des « illustrations des difficultés structurelles qu’ont les démocraties à sanctionner les puissants ». Au Mexique, El Universal a comparé les divisions américaines autour du dossier avec les difficultés du pays à imposer la transparence dans ses propres affaires sensibles. Au Brésil encore, O Globo a noté que les dissensions internes au Parti républicain rappellent les luttes de factions qui marquent souvent les grandes formations politiques latino-américaines.
Alors que les États-Unis se rapprochent d’une divulgation complète du dossier Epstein, l’intérêt mondial pour l’affaire et les réactions médiatiques démontrent à quel point le sujet dépasse les frontières américaines. Sur plusieurs continents, l’enjeu est décrit comme un test de solidité institutionnelle, une confrontation avec les privilèges des élites et une mesure de la capacité des nations — riches ou pauvres — à répondre lorsque les accusations d’abus atteignent les plus hauts niveaux du pouvoir. Reste à savoir si la publication du dossier permettra d’éclaircir les zones d’ombre ou accentuera les fractures politiques, mais une chose semble acquise : l’impact de cette affaire ne restera probablement pas confiné aux États-Unis.



